Lait, encore des maux

Si vous êtes d’origine européenne, ou si vos ancêtres l’étaient, vous consommez probablement du lait. J’entends ici bien sûr du lait de vache, bien qu’il ne faille pas, à mon avis, sauter trop vite aux conclusions: tous les mammifères produisent du lait, mais ce lait n’est pas nécessairement utilisé pour l’alimentation humaine (1)!

Verre de lait de vache. Pas de surprise, pas de flaflas. Mais… est-ce vraiment si simple? (source de l’image: Wikipédia).

C’est que je vais jeter un pavé dans la mare (et un gros! attention aux éclaboussures!). Ce qui est considéré comme « normal » (= consommer du lait de vache) en Occident suppose avant tout une capacité gastrique déterminée génétiquement (la production d’une enzyme nommée lactase pour décomposer le lactose, sucre présent dans le lait).

La production de lactase découle de plusieurs mutations chez l’humain (cf. Wikipédia), qui lui permettent de continuer à consommer du lait bien après son sevrage. C’est un phénomène absolument unique dans le règne animal (et chez l’ensemble des mammifères) que d’avoir des individus adultes qui continuent à boire le lait, liquide nourrissant pour les tout jeunes, et, qui plus est, le lait d’un autre mammifère.

Bon, relisez tranquillement une deuxième fois la dernière phrase: adulte… lait d’un autre mammifère… exception no 1.

Traite d’une vache. La consommation de lait de vache chez l’humain devrait suivre les premières domestications de cet animal (on parle d’environ 8000 avant notre ère). Donc, il s’agit d’une consommation qui aurait à peu près 10 000 ans.

Parce qu’il y a une seconde exception: c’est que même au sein de cette espèce étrange de mammifères (qu’on appelle aussi des Homo sapiens pour faire plus scientifique), la capacité à produire de la lactase (et donc à digérer le lactose du lait) est une anomalie. Pouvoir digérer du lait en produisant la lactase quand on est adulte est une exception au sein du groupe humain.

Si je vous dis que la grosse majorité des humains sont incapables de digérer le lactose (2); plus précisément que moins de 5% des Asiatiques en sont capables, alors que le pourcentage frôle le zéro pour cent chez les Thai, les Nouveaux-Guinéens et les aborigènes d’Australie; que même chez les populations consommatrices de lait, il y a toujours un pourcentage significatif d’individus incapables de digérer le lactose (pourcentage qui va de 5% chez les Hollandais, Danois, Suédois et Scandinaves, mais qui est par exemple de 10 à 20% chez les Américains pâles (3), et de 75 à 88% chez les Américains foncés – qui devraient pourtant tous être de « bons » consommateurs de lait!) (Harris, 1985, p. 133; Souccar, 2007, p. 97).

On appelle couramment « intolérance au lactose » cet état de santé, mais je pense qu’il faudrait vraiment revoir les termes (qui suggèrent que c’est anormal de ne pas digérer le lactose) et parler de « tolérance au lactose ».

Donc, non content d’être un produit indigeste pour une proportion massive d’humains adultes (qui leur cause des problèmes variés (4) mais semblables à une intoxication généralisée, en fonction bien sûr notamment de leur degré de tolérance au lactose), mais les laitages sont pointés du doigt comme responsable ou comme facteur aggravant dans de nombreuses maladies (5):

    • diabète:
      • les acide gras trans présents dans le lait rendent moins sensibles à l’insuline, surtout chez les diabétiques (Souccar, 2007, p. 53);
      • les laitages sont en tête de la liste des facteurs contributeurs au diabète de type 1 (chez les enfants) – le diabète est de plus surtout présent chez les enfants allaités moins longtemps (Souccar, 2007, p. 156-160);
      • il y aurait 2 explications pour le lien entre le lait et le diabète de type 1:
        1. des fragments de protéines laitières (très semblables aux cellules du pancréas qui produisent l’insuline) passent dans le sang et ne sont pas digérées; elles sont ensuite attaquées par le système immunitaire, qui finit par détruire aussi les cellules du pancréas (Souccar, 2007, p. 160-161);
        2. l’insuline bovine (présente dans le lait de vache) provoque une réponse allergique de l’organisme; comme l’insuline bovine est très semblable à celle de l’humain, les anticorps s’attaqueraient également à cette dernière, rendant le corps incapable de tolérer sa propre insuline (Souccar, 2007, p. 161-162);
      • le lait est un des rares aliments qui présente un indice glycémique (IG) bas, mais qui fait réagir l’organisme en faisant produire énormément d’insuline: les taux élevés d’insuline constants dans le corps sont un facteur de risque important pour le développement du diabète de type 2 et du syndrome métabolique, puisqu’il conduit à la résistance à l’insuline (Souccar, 2007, p. 173-177);
    • ostéoporose:
      • sur la santé des os:
        1. il n’y a pas de preuves que le lait rende les os plus solides (ce qui, selon la logique classique médicale, protégerait contre l’ostéopose) (Souccar, 2007, p. 64) – en fait, on parle même d’une inefficacité des produits laitiers pour lutter contre l’ostéoporose (Souccar, 2007, p. 73);
        2. la densité osseuse (augmentée temporairement par l’ingestion de calcium) n’est pas un facteur pertinent pour mesurer l’état de santé des os: les populations asiatiques ont en effet des os moins denses, mais ils souffrent beaucoup moins souvent d’ostéoporose que les occidentaux; de la même façon, il n’y a aucune preuve scientifique qui fasse le lien entre le risque de fracture osseuse et la quantité de lait consommée (pas du tout, peu ou beaucoup) (Souccar, 2007, p. 67, 69-71);
        3. en fait, les études de populations font un lien entre la consommation de lait et la santé des os: « moins on consomme de lait et de protéines animales, plus on a des os en bonne santé » (Souccar, 2007, p. 73) – il faut ajouter les consommations de sel et de boissons sucrées comme cooccurrents (6);
      • la question du calcium:
        1. même si le calcium était absolument nécessaires (dans les quantités prescrites par les agences de santé publique), il n’y a aucune preuve que le lait soit la meilleure source de calcium: le calcium végétal est beaucoup mieux assimilé par l’organisme (Souccar, 2007, p. 69);
        2. les apports recommandés de calcium sont basés sur des calculs à court terme (sur un petit échantillon uniquement constitué de filles!), et sur des bases arbitraires, où on ne tient compte ni de la quantité de calcium végétal, ni de l’activité physique, ni de la quantité de protéines animales ou de sel ingérées (qui éliminent le calcium) – avec un régime alimentaire moins acidifiant en général, on peut se contenter d’une très petite quantité de calcium -, ni de l’âge, ni même du sexe (Souccar, 2007, p. 187-193);
        3. la consommation massive de calcium laitier déstabilise l’organisme dans sa capacité à gérer ce minéral (Souccar, 2007, p. 80);
        4. le calcium accélère le phénomène de remodelage des os (destruction des vieilles cellules et reconstruction de nouvelles) – cependant, les cellules responsables de la reconstruction (ostéoblastes) ne sont pas produites en quantité illimitée, ce qui fait que les os finissent par ne plus être remplacés (puisqu’ils continuent à se faire éliminer par d’autres cellules, les ostéoclastes, qui, elles, sont en nombre infini, et qui sont stimulées par le… calcium et d’autres substances présentes dans le lait!); résultat: le calcium finit par empêcher les os de se renouveler (causant la porosité des os à un âge plus avancé associée à l’ostéoporose) (Souccar, 2007, p. 80-85).
    • tumeurs et cancers divers:
      • un lien direct et positif entre la quantité de protéines de caséine (87% des protéines présentes dans le lait de vache) et les effets de l’aflatoxine (champignon qui altère l’ADN), ce qui génére des tumeurs cancéreuses du foie et accélère leur développement (plus on augmente les protéines, plus l’aflatoxine s’active) (Souccar, 2007, p. 105-113);
      • la présence de l’IGF-1 dans le lait, une hormone de croissance naturelle et identique pour l’humain et la vache, qui contribuerait à l’accroissement de la taille en moyenne chez l’humain (dans les populations consommant du lait) et à la prolifération des cellules pré-cancéreuses ou cancéreuses: on parle ici entre autres du cancers du sein, de la prostate et du poumon (Souccar, 2007, p. 118-121);
      • le lien entre la consommation de la caséine (présente dans le lait en grandes quantités) et l’apparition de cancer du sein (Souccar, 2007, p. 113);
      • le lien entre la caséine et une augmentation de l’IGF-1 absorbée par le corps (et présente dans le sang) (Souccar, 2007, p. 119);
      • le lien entre la consommation de lait et de calcium et les risques d’apparition du cancer de la prostate (Souccar, 2007, p. 125-129);
      • le lien entre la consommation de fromage et le cancer du testicule (Souccar, 2007, p. 135);
      • le lien entre les estrogènes et la progestérone, présentes en grande quantité dans le lait de vaches actuel, et les cancers du sein, des ovaires et de l’utérus (Souccar, 2007, p. 134-136);
      • l’augmentation de la quantité d’IGF-1 dans le lait depuis une trentaine d’années, ce qui expliquerait la hausse des cas de cancers de la prostate (puisqu’on ne consomme pas vraiment plus de lait qu’avant) (Souccar, 2007, p. 131);
      • le lien entre l’IGF-1 du lait et l’augmentation de la production de l’IGF-1 du corps humain (Souccar, 2007, p. 138);
      • la baisse de la présence de vitamine D dans les organes liée à la consommation de laitages (la vitamine D est anti-cancéreuse) – les produits laitiers créent un environnement acide qui met en péril la fabrication de vitamine D par une enzyme des reins (Souccar, 2007, p. 129);
    • sclérose en plaques:
      • bien qu’on ignore les causes exactes de cette maladie, sa géographie (Europe, Amérique du Nord, Australie) est la même que pour l’ostéoporose et le diabète de type 1 et les grands consommateurs de produits laitiers : soit on s’enterre la tête dans le sable, soit on en conclut quelque chose en lien avec la consommation de lait;
      • il s’agit aussi d’une maladie auto-immune (frasques du système immunitaire qui attaque son propre organisme ou des substances non dangereuses normalement), tout comme le diabète de type 1, le lupus, et les allergies en général: les globules blancs font du zèle, et considèrent comme nuisibles quelque chose qui ne l’est pas.

Bon, d’accord, plus de lait. Mais il ne suffit pas de jeter la « pinte » (ou la boîte pour nos ami(e)s européens) de lait à la poubelle pour se débarasser du problème. Méfiez-vous aussi des sous-produits du lait contenus dans les aliments fabriqués par l’industrie. Et pensez à varier et à augmenter votre consommation de fruits et de légumes pour avoir l’apport souhaitable en vitamines et minéraux. Si vous voulez avoir une idée plus précise de ce que vous devriez manger, je vous suggère le site LaNutrition.fr, auquel participe Thierry Souccar si abondamment cité ici, où vous trouverez notamment les quantités de calcium disponible dans les aliments, et les manières alimentaires d’être équilibré dans son métabolisme.

« Mais pourquoi elle nous parle de son obsession anti-lait? », vous demandez-vous peut-être… Premièrement parce que nous avons tendance à donner trop tôt et en trop grandes quantités des produits laitiers à nos enfants, jeunes ou moins jeunes – les scientifiques, que je pense les plus crédibles, conseillent à présent de limiter à 1 portion par jour au grand maximum les laitages. Mangez mieux en général, bougez plus, et jeter le lait…!

Deuxièmement parce que les femmes enceintes se font casser les oreilles par les exigences médicales pour consommer plus de produits laitiers (alors qu’il faudrait plutôt varier son alimentation!). Mon médecin (un très grand crétin, mais je vous en parlerai une autre fois) avait prescrit 2 litres de lait par jour au minimum, et des suppléments de calcium quand il a su que je suis intolérante au lactose.

Je terminerai avec une citation de Woody Allen (mise à jour: dans Annie Hall (1977)), tirée du livre de Souccar (2007, p. 27), parce que je la trouve très drôle:

Tout ce qui est bon selon les parents, ne l’est pas.
Le soleil, le lait, la viande rouge, le collège.

 

Mises à jour:
1er octobre 2012 (erreurs de français).
11 novembre 2012 (source de la citation de Woody Allen)

(1) Si vous croyez que « du lait, c’est du lait », allez donc jeter un coup d’oeil sur la composition des laits de différents mammifères sur Wikipédia. Pour faire rapide, le lait de vache est plus gras que le lait humain, contient plus de protéines (mais seulement pour la caséine et non pour l’albumine), et a plus de matière minérale. Il est par contre moins riche en lactose. Je maintiens donc mon point de vue « chimpanzé »: ce qu’il y a de mieux pour la marmaille, c’est le lait de leur maman (ou d’un autre humain de substitution).

(2) L’article de Wikipédia sur le sujet et Souccar (2007, p. 93) parlent même de 75% des gens à travers le monde qui ne pourraient consommer de lait sans éprouver des symptômes désagréables!

(3) Désolée, c’est ma marotte: je considère que les termes « blancs » et « noirs » (et encore plus « jaunes » ou « rouges ») sont absolument ridicules quand on discute de catégories de personnes. La référence à une (quelconque) couleur de peau est risible: je ne suis pas blanche, mais pêche, et je ne connais personne qui puisse rivaliser avec mon manteau noir en termes de teinte foncée. Nous sommes tous sur un continuum qui va du brun très très pâle à du brun très très foncé, avec une moyenne de « bruns ». Donc, je parle d’Américains pâles, en contraste avec des Américains foncés (d’origine africaine plus ou moins lointaine) et des Amérindiens. Ah oui, et pour les cousins d’Europe, les Indiens, ça vient de l’Inde!

(4) Je n’ai pas pu résister à vous retranscrire le tableau suivant: il s’agit de l’ensemble des symptômes relevés chez 133 patients pendant 48 heures après ingestion de 50g de lactose (l’équivalent d’un litre de lait) (MATTHEUWS SB (2005). « Systemic lactose intolerance: a new perspective on an old problem », Postgrad Med J, no 8, 167-173, résultats cités in: Souccar, 2007, p. 99).

Symptômes Pourcentage de patients
présentant ces symptômes
Douleur abdominale 100
Distension abdominale 100
Borborygme 100
Flatulence 100
Diarrhée 70
Constipation 30
Nausée 78
Vomissement 78
Mal de tête et vertige 86
Perte de concentration,
trouble de la mémoire à court terme
82
Douleur musculaire 71
Douleur, raideur,
gonflements articulaires
71
Allergie (eczéma, prurit,
rhinite sinusite, asthme)
40
Arythmie 24
Ulcères de la bouche 30
Maux de gorge moins de 20
Mictions fréquentes moins de 20

Résultats personnels: comme je souffrais à la fois de rhinite sinusite, d’asthme et de reflux gastriques, j’ai fait un petit test maison en 2008 environ pour voir quels seraient les conséquences d’une absence de lactose dans mon alimentation. J’ai cessé complètement le lait pendant une semaine (je prenais généreusement les 2 portions recommandées par jour (environ 2 tasses ou 500 ml), pour ensuite réduire les quantités à 2 à 3 cuillères à table par jour (environ 30 à 40 ml), soit ce que je mets dans mes cafés).

Depuis, je n’ai plus de reflux gastriques (sauf avec certaines marques de croustilles), et je n’ai presque plus de symptômes d’allergie (rhinite). Ma pompe à asthme n’a pas été renouvelée en 2010, puisque je ne l’utilise plus. Je ne suis que légèrement intolérante au lactose, mais quelle différence ça a été pour moi de diminuer ma consommation de lait!

(5) Vous remarquerez sûrement que je me base abondamment sur le livre de Thierry Souccar, Lait, mensonges et propagande (2007). C’est vrai, M. Souccar est un journaliste scientifique (certains mettront d’emblée en question ses compétences pour juger d’un dossier de nutrition et de santé). Par contre, j’ai rarement vu un livre accessible au grand public et qui fait preuve d’autant de sérieux en termes de recherche documentaire. Non seulement c’est bien écrit, bien expliqué et clair, mais c’est en plus appuyé par des références scientifiques qui seront difficiles à réfuter. Si vous avez des doutes sur ce que je raconte, allez voir son livre. Si vous vous méfiez de ses conclusions, allez voir ses sources.

(6) Dans les études scientifiques, on parle de cooccurrence (ou concomitance ou co-variation) lorsque 2 variables (éléments qui peuvent influencer un phénomène) apparaissent simultanément, souvent à cause d’une 3e variable (cf. Amyotte, 2002, p. 384).

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