J’ai terminé récemment Tristes tropiques de Lévi-Strauss, écrit en 1955. En fait, Tristes tropiques est un assemblage un peu confus (en tout cas, absolument pas chronologique) de 3 voyages importants pour Lévi-Strauss: 2 expéditions au Brésil (1935-1936 et 1938) ainsi qu’une mission pour l’UNESCO en Inde, au Pakistan et dans ce qui deviendra le Bangladesh (1950). S’y mélangent des réflexions philosophiques, des anecdotes autobiographiques et des analyses ethnographiques. C’est un livre qui a marqué l’imaginaire: 27 traductions et un succès immédiat, il a manqué de peu recevoir le prix Goncourt (mais n’y était pas éligible, puisque ce n’est pas un roman) (voir Wikipédia).
Lévi-Strauss visita plusieurs groupes d’Amérindiens du Brésil en coup de vent: une bonne ethnographie (dans le sens que ce processus a pris dans la deuxième moitié du 20e siècle) nécessite en effet un séjour de plusieurs mois dans chaque communauté. Si Lévi-Strauss fait alors la collection d’objets matériels, de listes de vocabulaire et de quelques éléments de la parenté et de la politique, c’est que ces sociétés sont en train de disparaître, victimes des épidémies, des missionnaires (qui détruisent la culture pour mieux évangéliser) et des colons brésiliens (qui ont leurs propres intérêts à défendre – caoutchouc, or et diamants pour ne pas les nommer). Il est à noter que certaines de ces communautés alors considérées en danger ont repris du poil de la bête, dans un mouvement de revendication identitaire et territorial notamment.
On peut déplorer que les descriptions de Lévi-Strauss ne soient pas complètes: il reste de nombreuses questions en suspens sur ces Amérindiens, dont Lévi-Strauss avait parfaitement conscience (et qu’il notait dans ses carnets). Il faut reconnaître cependant la qualité de ses écrits, surtout si on comprend bien les circonstances très difficiles auxquelles il a dû faire face à l’époque.
J’ai choisi de ne relever ici que les quelques idées et extraits qui concernent la grossesse et la maternité, suivant le sujet de ce blogue.
Les Caduevo (ou Kadiwéu), groupe faisant partie des Mbayá, étaient très hiérarchisés. Déjà lorsque Lévi-Strauss les visita, leur société avait été très modifiée (pour voir des objets caduevo, voir le National Museum of the American Indian). On peut noter des commentaires sur la caste des nobles (basés sur des récits de voyageurs plus anciens):
Cette société se montrait fort adverse aux sentiments que nous considérons naturels; ainsi, elle éprouvait un vif dégoût pour la procréation. L’avortement et l’infanticide étaient pratiqués de façon presque normale, si bien que la perpétuation du groupe s’effectuait par adoption bien plus que par génération, un des buts principaux des expéditions guerrières étant de se procurer des enfants. Ainsi calculait-on, au début du XIXe siècle, que dix pour cent à peine des membres d’un groupe guairucu [dont font partie les Caduevo] lui appartenaient par le sang. (Lévi-Strauss, 2008, p. 169-170 – commentaire entre crochets rajouté par moi)
Lévi-Strauss relève également la pratique de mise en nourrice chez les Caduevo, où les enfants des nobles étaient élevés jusqu’à 14 ans (âge de l’initiation). Ils étaient également enduits de peinture noire pour une raison rituelle (non expliquée par Lévi-Strauss). Finalement, pour les garçons, un autre bébé né au même moment (mais dans une autre caste) était désigné pour être son frère d’armes (Lévi-Strauss, 2008, p. 170).
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Femme caduevo, dans la région de la riviève Nabileque au Brésil (aux alentours de 1872). Les femmes caduevo se tatouaient et se peignaient le visage et le corps de motifs abstraits d’une beauté surprenante. Lévi-Strauss analyse cette pratique comme avant tout érotique, mais aussi en opposition aux sculptures réalistes des hommes caduevo – voir aussi à ce propos « Le dédoublement de la représentation dans les arts de l’Asie et de l’Amérique » (Lévi-Strauss, 1974, p. 279-320) (photo du Dr. R. Lehmann-Nitsche, source de l’image: Wikipédia). |
Je présenterai d’autres extraits de Tristes tropiques une autre fois.
Source: Lévi-Strauss, 2008, p. 1-445