Brève 12: Des dangers de l’accouchement

Je suis tombée ce matin sur cet article de IFLS, qui parle des taux de décès chez les mères liés à la grossesse. Ainsi, le Texas aurait le taux le plus élevé des États-Unis (35,6 décès pour 100 000 naissances contre 23,8 pour 100 000 pour le pays en 2014 (source: IFLS)), mais aussi de l’ensemble des pays développés (à l’exception du Mexique (1)).

D’une part, ces statistiques vont à l’encontre d’une tendance mondial, celle de la diminution des décès (sources: The Guardian et Wikipedia). Ainsi, on estimait qu’entre 1980 et 2008 les mortalités maternelles avaient diminué de 1,4% par année, et que l’ensemble des populations avaient bénéficié, entre autres mais principalement, des apports de la médecine pour passer de 500 000 décès par année (en 1980) à 343 000 (en 2008) (source: The Guardian).

D’autre part, quand on essaie de comprendre pourquoi le Texas (et les États-Unis) ont un problème criant de mortalité maternelle, on fait rapidement des liens avec le manque de ressources données aux femmes enceintes (notamment par les attaques (2) depuis 2010 contre les cliniques de Planned Parenthood, qui s’occupent certes des avortements, mais plus généralement de contraception et sont en première ligne pour la santé féminine globale), et avec le racisme (plus de décès de femmes à la peau foncée, Afro-américaines et Latino-américaines) (sources: IFLS et Associated Press). Par contre, on ignore encore les détails sur les relations entre les phénomènes de sexisme et d’idéologie pro-vie, ainsi que celui du racisme peuvent influencer la mortalité maternelle.

Personnellement, ça m’étonne assez peu comme nouvelle. J’ai également eu un moment de « ah-ha! » en voyant que l’Afghanistan se plaçait dernière dans la liste des pays classés par taux de mortalité maternelle (source: The Guardian) en 2008.

(1) J’ai cherché un peu pour savoir le taux de décès maternels au Mexique, mais je n’ai pas trouvé de statistique pour 2014 (ou de statistiques plus récentes pour chaque pays). J’ai trouvé pour 2008 ici, mais utiliser ces données est problématique pour plusieurs raisons. D’une part, ça commence à faire loin (presque 10 ans au moment où j’écris ces lignes), et d’autre part, l’article de IFLS souligne l’augmentation des taux de décès aux États-Unis depuis 2000.

(2) Je parle ici du retrait des subventions gouvernementales, ainsi que des lois protégeant et permettant l’accès à des contraceptions et à l’avortement qui sont retirées ou amoindries, quand ce n’est pas carrément des lois discriminatoires (on voit ces lois fleurir depuis l’élection de Trump).

Les tests de grossesse et le contrôle de la fertilité des femmes

Il y a fort longtemps que la fertilité des femmes est un sujet important. On peut y déceler en arrière-plan une joute de pouvoir, entre plusieurs acteurs. Mon but n’est pas ici d’en faire une synthèse (même si c’est diablement tentant), et j’en parle simplement parce que je suis tombée ce matin sur ce petit article qui retrace l’histoire du premier test de grossesse moderne aux États-Unis, conçu par une femme qui a dû se battre pour faire aboutir son idée (et surtout, pour éviter que le produit ne soit un objet estampillé du marketing de mauvais goût « pour femmes »).

On a donc ici, en vrac, plusieurs de mes coups de gueule:

  • La prépondance des figures masculines pour décider si une femme/fille devrait ou non être enceinte (que ce soit parentale, matrimoniale, politique, religieuse, économique);
  • Les produits étiquetés « pour femmes », à peu de choses près les mêmes que « pour hommes » (sauf que c’est rose et avec des fleurs et plus cher), alors que les produits pour hommes sont considérés comme « neutres » ou « normaux »;
  • Le peu de reconnaissance des inventions faites par des femmes;
  • Le manque d’inventions (ou faites tardivement) pour des problèmes étiquetés comme « féminins » (ne me lancez pas sur les soutiens-gorges, parce que ça va saigner);
  • La mysogynie (en général et en particulier – et il se trouve que le domaine de la grossesse et de la maternité en est envahi);
  • Le fait qu’on me demande de rassurer/justifier/m’expliquer sur le préjugé que les féministes n’aiment pas les hommes (alors qu’un-e anti-féministe ne se fait pas demander s’il-elle déteste les femmes).

Il y a du chemin à faire.

Brèves 7: Nommer la violence obstétricale

Je n’ai pas eu le temps de le lire: je suis encore fébrile de cette découverte. Stéphanie St-Amant a fait une thèse de doctorat à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) sur la violence du système médical lors de l’accouchement. Sur-médicalisation, absence de consentement éclairé avant les gestes médicaux, refus de reconnaître cette appropriation sociale et médical du corps de la parturiente… C’est en plein dans ma ligne de mire.

Je vais lire cet ouvrage, c’est certain, et je vous en ferai des commentaires. En attendant, on peut lire une entrevue de Mme St-Amant sur le magazine PlanèteF.

À suivre!

Référence: ST-AMANT, Stéphanie (2013). Déconstruire l’accouchement: Épistémologie de la naissance, entre expérience féminine, phénomène biologique et praxis technomédicale.Thèse présentée comme exigence partielle au doctorat de sémiologie, Université du Québec à Montréal, 443 p. [En ligne] Adresse URL: https://www.academia.edu/5700272/

Mon côté féministe ressort

Le féminisme est une étiquette qui n’est plus à la mode. D’ailleurs, nous sommes en novembre, et les hommes se font pousser la moustache dans le mouvement « Movember » (entre autres, pour attirer l’attention sur des questions masculines). Notez ici que je n’ai absolument rien contre les mouvements revendicateurs de ce type… Mais dans ce cas précis, je ne l’approuve pas.

Une « suffrage parade » de 1912 à New York, avec des suffragettes. Depuis l’obtention du droit de vote pour les femmes un peu partout dans le monde, la question se pose: que veulent encore (!?!) les femmes? (source de l’image: Wikipédia).

Oui, nous avons le droit de vote. Oui, nous avons demandé l’égalité et l’avons obtenue (euh… du moins en apparence!). En tout cas, il est maintenant interdit de nous discriminer (dans notre face, du moins!) sur la base du sexe. Et il y a eu un gros travail sur l’équité salarial au Québec, où les emplois traditionnellement féminins ont été évalués pour les comparer (sur la base du salaire et du travail demandé, notamment) par rapport aux autres (traditionnellement masculins ou non). Bravo.

Pourtant. (soupir). Pourtant…

Un syndicat de travailleuses du Bangladesh a organisé en 2005 une célébration de la Journée international des droits de la femme (source de l’image: Wikipédia).

Il y a longtemps déjà que les féministes le savent: être une femme, c’est se démener dans l’équivalent de 3 emplois: le travail salarié, le travail ménager, le travail d’activiste. C’est encore sur les femmes que repose majoritairement l’élevage des enfants (oui, je parle « d’élevage »!). Et beaucoup de cellules familiales fonctionnent sur l’organisation planifiée par les femmes (les hommes y jouant un rôle d’exécutant – lorsqu’ils y tiennent un rôle!).

Il n’y a toujours pas d’égalité en ce qui a trait aux soins à donner aux enfants. Et, désolée messieurs, mais être mère n’est pas plus « naturel » qu’être père! À cela, on me répondra le fabuleux argument de l’allaitement maternel, qui ne peut effectivement pas être fait par un homme (mise à jour: contrairement à l’idée répandue, les hommes étant équipés des mêmes glandes mammaires que les femmes, on a constaté dans certaines conditions – consommation d’hormones, stimulation mécanique prolongée, retour à une alimentation normale – que les hommes (ainsi que d’autres spécimens mâles de mammifères – bouc et chauve-souris notamment) produisent du lait (cf. Diamond, 2006 (1993)).

Et voilà que la roue tourne, que sous prétexte que l’allaitement est devenu une condition obligatoire à l’enfant, les femmes perdent à nouveau leur liberté. C’est vrai qu’on oublie souvent d’expliquer aux femmes à quel point l’allaitement est prenant, qu’il est aliénant, qu’il vous transforme en vache laitière… Même si je persiste à croire que c’est, grosso modo, une bonne chose.

Dans son article tout récent sur l’épuisement des mères, baptisé très justement « Mères à bout de nerfs« , Halpern (2011) décrit ce cercle vicieux dans lequel les mères se retrouvent emprisonnées, celui de l’image de la « bonne mère ». Suivez bien le mouvement: c’est éclairant.

  • Beaucoup de gens considèrent la maternité comme la définition de la féminité. Déjà, cela place certaines dans une situation inconfortable: comment dire que cette expérience, sensée être merveilleuse, ne nous rend pas nécessairement heureuses?
  • Ensuite, une fois qu’on a franchi le pas, vient la culpabilisation. Il ne suffit pas d’être des parents biologiques: encore faut-il se conformer à ce qui est présenté comme le modèle idéal de la mère.
    • Il faut vouloir ce qu’il y a de mieux pour l’enfant (et l’obtenir!).
    • Il faut toujours veiller à sa sécurité.
    • Il faut favoriser son épanouissement.
    • Il faut être toujours disponible pour l’enfant.
  • Le meilleur, de nos jours, c’est l’allaitement maternel (mais douleurs, meurtrissures, morsures, montées de lait, non disponibilité sexuelle ne sont pas souvent présentées comme les pendants de cette pratique!). C’est aussi les purées faites maison, les couches lavables (pour l’environnement au minimum!), le portage… J’en sais quelque chose: j’ai fait moi-même tout cela. Par contre, certaines féministes vous diront qu’il s’agit justement d’un retour en arrière: toutes les technologies pouvant faciliter la vie des mamans (purées achetées, biberons, lait maternisé, couches jetables, poussettes…) sont rejetées au profit d’un idéal « retour à la nature ». Celles qui ne le font pas sont pointées du doigt. Elles amènent des biberons en cachette à la maternité. Elles font leur possible, et essaient de ne pas trop se sentir coupable, j’imagine.
  • Il faudrait, en même temps (et avec une seule paire de bras!), réussir sa vie familiale (super-maman et super-ménagère), sa vie professionnelle (super-travailleuse), sa vie sexuelle (nos amis américains disent MILF = « mom I like to f*ck »). J’exige le livre d’instructions. Cohérentes. Praticables. Simples. Sinon, on se dit qu’on a raté quelque chose. Et c’est la culpabilité qui revient.
  • Au Québec, il y a des problèmes de places en garderie. Oui, on fait des enfants. On les chérit, on les adore. Et puis il faut retourner travailler. À la culpabilité « d’abandonner » son enfant à des étrangers (bon, professionnels, mais tout de même extérieurs à la famille), il faut ajouter la complexité à dénicher un endroit pouvant accueillir le poupon.
  • Celles qui restent au foyer sont-elles plus heureuses? Elles n’ont pas l’épanouissement de la vie active. Elles doivent s’improviser éducatrices spécialisées (sans nécessairement avoir reçu la formation nécessaire), elles s’épuisent, sont frustrées d’avoir abandonné leurs rêves et leurs projets pour le maternage. Et les pauvres papas qui doivent assumer seuls le revenu familial (dans un contexte économique pas facile), absents parce qu’ils travaillent fort, ce qui fait retomber sur les femmes toutes les tâches ménagères. Elles pourront difficilement retourner au travail. Elles ont un trou dans leur curriculum vitae, non reconnu socialement.
  •  Et se pointe le monstre, la peur panique des « carences affectives ». Père manquant, fils manqué, disait le titre du livre de Guy Corneau en 1992. Cette crainte repose encore une fois sur les mères, qui sacrifient presque tout pour assurer à leur(s) enfant(s) de ne jamais manquer d’affection. La vulgarisation de la théorie de l’attachement de Bowlby depuis les années 70 a été bien comprise dans le grand public. Mais à quel prix?
Développer une relation d’attachement peut se faire avec n’importe quel adulte qui prend soin de l’enfant et qui lui répond favorablement. Il n’a jamais été dit que cela devait reposer uniquement sur la mère, ou sur les parents biologiques…! (source de l’image: Wikipédia).
  • On s’aperçoit ainsi que la plupart des recherches tendent à protéger l’enfant. À en faire le centre de toute l’attention, à forger ce qu’on peut nommer du puéricentrisme. La mère n’est qu’un des vecteurs du développement de l’enfant (certes l’un des plus importants, ou, plus exactement, le premier blâmé si quelque chose chez l’enfant ne va pas). D’où, on le saura, culpabilisation des mères.
  • Pour couronner le tout, être mère, les ami(e)s, c’est un contrat à vie. Ce n’est pas que les premières années! (On ne s’en sortira jamais!)

Je suis persuadée que le bonheur de l’enfant passe par celui des parents. Et de la mère en particulier, puisque c’est elle qui s’en occupe (encore…) davantage.

Faites la grève une fois de temps en temps. Refusez de faire tout ce pour quoi vous n’êtes pas payée. Faites ce que Jacques Salomé (1993) appelle des jours « inmères » (il y a bien des jours impairs – impères!). Révoltez-vous.

Affiche soviétique de 1932 pour célébrer le 8 mars. Le texte en rouge et blanc déclare: « Le 8 mars: Un jour de rébellion des femmes travailleuses contre l’esclavage de la cuisine. » Le texte en gris poursuit: « Dites NON à l’oppression et à la vacuité du travail domestique! » (source de l’image: Wikipédia).

Mise à jour (hommes capables d’allaiter): 28 juillet 2016.